Le langage de Maria Mulas

Les photos de Maria Mulas parlent. Elles racontent des histoires. Elles n’arrêtent pas le temps, mais le dilatent et le transforment en temps circulaire.

Regardez par exemple Andy Warhol derrière son appareil photographique. On ne voit presque pas son visage, mais, au premier plan, ses doigts minces, nerveux, qui s’accrochent à la caméra, sa perruque blanche, énorme, qui fait de lui un extraterrestre, en contact électrique avec un autre ciel ; avec son blouson en cuir à la mode, voilà Andy et toute son histoire à notre entière disposition.

Et lorsque Maria fait son autoportrait, elle nous confie des secrets. Elle met en évidence sa personnalité avec force : ce roux, le roux de ses cheveux, de ses lèvres, un roux qui la caractérise, qui la fait reconnaître dans une pièce bondée ; son goût pour les bijoux, pour les soies miroitantes, et sa vie cachée derrière les images qu’elle poursuit.

Avec elle, même les paysages et les natures mortes se muent en histoires. Un quartier londonien insignifiant est métamorphosé en château de contes de fées, nimbé de brouillard, habité par des gnomes et des princesses. Milan, ville raisonnable et sérieuse, s’émiette, son célèbre Duomo fond, une lanterne chancelle, les passants hésitent un instant, ils ne savent plus où aller. Est-ce là son âme véritable ? L’ Ultima Cena de Leonard devient une scène ultime. Des gens envahissent le tableau, miment les apôtres, deviennent eux-mêmes acteurs, dans un jeu qui transforme le titre du tableau dans le tableau même.

Dans « Omaggio à Magritte », de vrais sièges, devant des volets sales, recouverts de poussière, envoient de mystérieux messages, chuchotent entre eux, comme dans un salon surréel, à la Magritte. Nous sommes aussi sous l’œil de Magritte, dans le doublement d’une architecture presque céleste. Ionesco nous sourit, complice, de son canapé moelleux. Henry Moore semble se figer comme une sculpture parmi des sculptures. Patrizia Patty, repeinte par le langage de Pallaiolo, rêve de son petit chien disparu.

Des coulisses vertes se ferment sur une comédie, dont on va imaginer la trame, une porte-fenêtre laisse entrevoir un coucher de soleil flamboyant et nous enveloppe dans une pénombre pensive et doucement mélancolique.

Posséder une photo de Maria Mulas c’est comme avoir chez soi une boite magique, à regarder et regarder encore, a écouter et réécouter, un petit miracle enfermé dans un cadre de lumière.

Laura Lepetit